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Le concept du continuum. La recherche du bonheur perdu

Aujourd’hui, je voudrais vous parler du livre de Jean Liedloff, “Le concept du continum” dont la lecture ne vous laissera certainement pas indifférent. C’est un livre qui est très souvent conseillé sur les groupes d’échanges autour du portage ou du maternage.

C’est une lecture très intéressante bien qu’elle doive se faire, à mon sens, avec le recul nécessaire car sa première édition date de 1975. En effet, beaucoup de choses ont évolué depuis en matière d’éducation et de maternage proximal. Sans oublier les recherches sur les neurosciences qui apportent un vrai éclairage sur l’évolution du cerveau des bébés et nous donnent des informations concrètes pour comprendre nos tous petits.

Ces évolutions au sein des maternités ou auprès des professionnels de santé et des familles, sont-elles dues en partie aux travaux et à la thèse du continuum de Jean Liedloff? Nous sommes en droit de le penser tant ses recommandations trouvent un écho dans notre société aujourd’hui.

Maintenant, si vous le voulez bien, entrons donc dans le vif du sujet.

Après avoir vécu plusieurs années aux côtés d’un peuple amérindien du Vénézuela, les Yékwanas, l’auteur établi le constat suivant : nous (issu des sociétés occidentales industrialisées) nous sommes détournés de nos besoins fondamentaux, nous éloignant peu à peu de notre “ordre naturel”, mettant ainsi à distance le bonheur auquel nous pourrions prétendre. En d’autres termes nous nous sommes éloignés de nos connaissances instinctives pour être guidé par notre seul intellect.

L’étude de ce peuple dont l’intellect s’est également développé mais qui est resté très proche de ses instincts primitifs l’amène à formuler le concept de continuum dont elle parle en ces mots : “le continuum humain peut être défini comme un enchaînement d’expériences qui correspondent aux attentes et tendances de notre espèces, dans un environnement de même logique que celui où sont nées ces attentes et tendances”.

Quelles sont les expériences et les attentes de notre espèces?

Dès la naissance, le petit humain a UNE attente originelle : trouver des conditions favorables au bon déroulement de son développement. Depuis la nuit des temps, un bébé est préparé aux différents chocs qui l’attendent à la naissance : sensation de froid, respiration, sensation de l’air sur sa peau, sensation de faim…Il s’attend alors à ce que l’ensemble de ses besoins dans ce monde soient satisfaits (chaleur, douceur, confort, sécurisation, alimentation, sommeil). Répondre de façon immédiate à ses besoins lui permet d’atteindre une plénitude indispensable à son existence : “la plénitude est le sentiment de base qui convient aux individus de notre espèce”. Mettre un bébé dès la naissance dans un berceau vide et froid, le laisser seul dans sa chambre, le laisser en proie aux pleurs et à sa détresse intérieure, le nourrir à heure fixe sans respecter son rythme sont autant de pratiques qui vont à l’encontre de son continuum.

N’oublions pas que, jusqu’à il n’y a pas si longtemps, les parents avaient pour instruction de laisser leurs bébés pleurer seuls dans leur chambre, sans quoi ils s’habitueraient aux bras et deviendraient ingérables et dépendants d’eux. En fait, l’éducation, dans notre monde occidental, s’est intellectualisée : les parents se tournent vers des livres ou des spécialistes pour apprendre à élever leurs enfants, ils cherchent des méthodes “clef en main”, ils écoutent les conseils des uns et des autres et plus les années passent plus les conseils divergent (dormir sur le dos ou le ventre, cododo ou pas, allaitement à heure fixe ou pas…). Ils ne se font plus confiance alors qu’instinctivement nous savons tous comment nous occuper d’un bébé et répondre à ses appels.

Il faut savoir, qu’en fonction de la façon dont le bébé est traité et dont ses besoins sont comblés, il se fait une opinion de sa relation par rapport au monde extérieur et se forge un certain nombre de certitudes qui seront la base de son équilibre : “ses mécanismes de stabilisation œuvrerons pour maintenir intactes ces certitudes”. Un des exemples avancé par l’auteur est qu’une personne, par manque de maternage enfant, va se complaire dans la maladie ou dans un état de fragilité permanent pour attirer l’attention et que l’on s’occupe d’elle. A l’inverse, un adulte dont tous les besoins fondamentaux ont été comblés et qui a vécu une enfance riche va pouvoir faire face aux imprévus, chocs et changements qu’il va rencontrer au cour de sa vie (décès, déménagement, divorce, changement de travail…).

Justement, pour vivre une enfance riche, le bébé va devoir vivre un certain nombre d’expériences. Selon elle, un nourrisson ne doit pas être, comme nous le voyons souvent aujourd’hui, le centre de l’attention. Dans le sens où ses parents ne devraient pas passer leurs journées à pouponner au risque de se lasser voir même de lasser son entourage. Un bébé a besoin de participer a la vie active d’une personne afin d’être éveillé aux expériences qu’il rencontrera lui-même plus tard. Le portage (ce qu’elle appelle la “phase dans les bras”), va lui permettre de vivre ces expériences. Dans les bras, sur le dos ou les hanches de son parent, le bébé va voir le quotidien de ses semblables : il va associer des odeurs à des lieux, sentir le froid, la chaleur, le vent, associer des voix et des visages… “Le bébé dans les bras a un rôle passif mais tous ses sens sont en eveil”. Ainsi, l’ensemble de ces stimuli va favoriser son développement et son apprentissage.

Une fois ces expériences vécues et assimilées, il se sentira en parfaite confiance pour passer de son propre chef au stade suivant : l’éloignement progressif de son parent. Puis, quand il se sentira prêt, il passera à un nouveau stade et cela jusqu’à l’âge adulte puis jusqu’à la mort. A chaque étape de sa vie, il sera en confiance, “à sa place”. Mais pour atteindre ce sentiment de plénitude, il faut impérativement que tous ses besoins à chaque stades soient entendus et comblés.

Dans les sociétés “continuum” comme chez les Yékwanas, le petit humain est forcément un être bon et sociable, on parle de “sociabilité innée”. Ils n’attendent rien de particulier d’un petit, ils ont confiance dans le fait qu’à force d’expériences et d’observation il saura quelle est sa place au sein de la communauté. L’enfant est d’ailleurs laissé en totale autonomie. Par exemple, cela ne viendrait à l’idée de personne de vérifier qu’un enfant a fait ce qui lui a été demandé car naturellement, l’enfant aura fait ce qu’on lui demande, “sa volonté de coopérer ne fait aucun doute”. Jean Liedoff a également été étonné de voir les bébés Yékwanas jouer librement avec des objets tranchants ou s’amusant proche d’un feu ou du puit du village. Preuve de la confiance de ce peuple en l’instinct de survie de leurs bébés. Cela ne fait pas des Yekwanas une société permissive. Ils ont des normes auxquelles les enfants doivent se conformer et ces normes sont acquises à force d’expérience et d’observation. L’exemple donné est le repas : chez les Yékwanas, le repas se fait en silence. On ne force personne à se taire mais l’enfant va observer depuis la naissance que le silence est fait à table, il va donc s’y conformer. Son obéissance n’est pas motivée par la peur mais respecte “l’ordre des choses”. Par ailleurs, ils ne feront jamais sentir à leur bébé qu’il est “méchant”. Si un enfant a un comportement inadapté ni son père ni sa mère ne seront indulgents : ils expliqueront quelle est la norme mais sans jamais le culpabiliser d’avoir fait ce qu’il a fait.

Quelles sont les conséquences de l’abandon de notre continuum?

“Le bonheur cesse d’être la condition normale de la vie et devient un but en soi”

Un bébé dont le continuum n’a pas été respecté n’a fait qu’expérimenter le “désir” : désir d’être entendu, désir d’être réconforté, désir de chaleur, etc. Il ne peut donc plus se libérer de cette expérience et ne cessera jamais de “désirer” ce qu’il n’a pas. Ainsi, il sera constamment à la recherche d’un bonheur qu’il n’atteindra jamais vraiment. Une fois qu’un besoin est satisfait, il se créera une nouvelle attente et repartira en quête de nouveauté. S’installe alors un sentiment de mal-être. On se met à envier les personnes qui ont ce que nous n’avons pas et entrons dans un cercle vicieux où le besoin de compétition et de victoire nous permettent d’exister. En comparaison, la compétition chez les Yékwanas, n’existent pas. Ils ont bien des loisirs tel que la lutte mais il ne la pratique jamais sous forme de tournoi ou de championnat. La chasse également n’est jamais le théâtre de petites compétition de type “à celui qui envoi la flèche la plus loin ou ramène le plus gros gibier”. Chacun fait ce qu’il peut en fonction de ses capacités et cela sans jugement aucun.

Une autre conséquence selon l’auteur de l’absence de la phase “dans les bras”, est l’expression de multiples personnalités si courantes qu’on imagine qu’elles ont toujours existé : le “Casanova”, le “lourdaud”, l’universitaire invétéré ou le voyageur invétéré. La criminalité, le vol ou encore la dépendance aux stupéfiants trouvent également leur origine dans le manque de maternage bébé. Jean Liedloff s’attarde notamment longuement sur la dépendance à l’héroïne. Elle a une théorie selon laquelle, “la sensation engendrée par l’héroïne ressemble à celle qu’éprouve un bébé dans les bras”. Une fois que la personne a expérimenté cette sensation, elle “sait” comment y retourner. Elle explique ensuite que la plupart des héroïnomanes sortent un jour ou l’autre de leur dépendance ; peut-être parce qu’ils ont comblé le manque expérimenté enfant et sont désormais prêt à passer à autre chose tout comme le bébé Yékwanas se détache peu à peu des bras de sa mère après avoir pris tout ce qu’il avait à prendre.

L’auteur constate également que les parents qui n’ont pas été materné, ne maternent pas eux-même. On retrouve ainsi la même pensée que le Dr Catherine Gueguen qui affirme que les violences éducatives ordinaires se transmettent entre générations.

Les sociétés continuum vivent-elles pour autant dans une bulle de bonheur?

“Il semblerait que dans cette immense période de centaine de million d’années, avant même que nos ancêtres ne développent un intellect capable de réfléchir à des thèmes comme la mort ou le but de l’existence, nous vivions effectivement de la seule manière d’être heureux : entièrement dans le présent.”

Selon l’auteur, c’est donc le développement du cerveau vers la “pensée” qui est responsable de la mise à distance du bonheur. A partir du moment où l’être humain a été en capacité de “choisir”, alors il a perdu son innocence. Il ne vit plus uniquement dans le présent mais également dans le passé et le futur. Il lui reste cependant la sensation innée que “la sérénité associée à l’innocence a pu un jour exister”. On expérimente d’ailleurs cette sérénité dans l’utérus. L’Homme moderne tout comme celui des peuples des premiers âges comme les Yékwanas est donc en quête de cette sérénité perdue. Divers moyens sont expérimentés pour la retrouver : la méditation, la discipline spirituelle, les rituels…L’idée étant d’atteindre un état de “non-pensée”. La différence entre la société continuum et celle qui ne l’est pas réside dans le fait que les Hommes dont le continuum a été respecté mettent beaucoup moins de temps à retrouver le chemin de la non pensée et du repos intellectuel. D’où le fait qu’ils soient plus sereins et plus enclin à être heureux.

Pourquoi il est si difficile de respecter notre continuum dans nos sociétés occidentales ?

Il s’avère que nos sociétés ne réunissent pas les éléments “de base” pour convenir au besoin de continuum de ses membres:

  • Les parents sont isolées : on dit souvent qu’il faut un village pour élever un enfant, mais dans nos sociétés modernes, les familles sont éparpillées au 4 coins du pays voir de la planète. Il y a peu de place dédiée la coopération, à l’entraide et à la stimulation sociale. Les jeunes parents ont besoin d’un soutient émotionnel et intellectuel que leurs enfants ne peuvent pas leur apporter
  • Les familles étant auto-centrées sur elle même, l’enfant devient alors (nous l’avons vu plus haut) le centre de l’attention. Or cela ne devrait pas être le cas. Il devrait dans un premier temps, vivre à travers le quotidien de son parent puis, lorsqu’il a grandi, être au milieu d’autres enfants pendant que les adultes sont entre eux. “La place des enfants à la périphérie de l’attention des adultes plutôt qu’au centre leur permettrait de trouver leurs propres centre d’intérêt, à leur rythme, sans pression”.
  • Avec le travail des parents, les lieux publics pas forcément adaptés, il est impossible d’emmener son bébé partout avec soi pour lui faire vivre ses expériences.
  • Le fossé entre les génération empêche les jeunes d’être fiers de devenir comme ses aînés, ils n’ont alors “aucune voie naturelle à suivre”
  • La cohabitation entre génération n’existe plus (ce qui a pour conséquence le point précédent)
  • L’intellectualisation de l’éducation empêche les parents de suivre leurs instincts les plus primitifs
  • Les habitudes sont extrêmement ancrées et il est difficile de s’en détacher : dès la maternité, le bébé est mis dans un berceau, puis il est déplacé en poussette et sera mis dans un parc un peu plus tard.
Comment faire évoluer les choses?

En prenant conscience de notre continuum et en étant à son écoute pour y rester le plus proche possible.

Sans pour autant transposer les leçons du peuple Yékwanas dont la civilisation est trop éloignée de la notre, il faut arriver à prendre conscience des limites de notre système et des besoins fondamentaux de nos bébés.

En modifiant nos comportements, nous avons le pouvoir de remettre le continuum au cœur de notre éducation, de répondre sans attendre aux besoins de nos bébés, de leur faire vivre les expériences nécessaires à leur bon développement et ainsi, de leur assurer confiance et sérénité dans leur vie à venir. Ils seront forts et équilibrés psychologiquement, ils auront chacun leur place dans la société quelles que soient leur différence et retrouveront le chemin du bonheur.

J’espère que cet article vous a plus, n’hésitez pas à réagir en commentaire : l’avez-vous lu également? Qu’en avez-vous pensé? A-t-il influencé votre rôle de parent? Etc.